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Mon premier cercle Bodysex

    Mars 2024 —

    J’arrive au centre de retraite joyeuse et fatiguée. Le trajet a duré sept heures. C’était la première fois que je franchissais la frontière canado-américaine seule au volant de ma voiture. “Is this your vehicle, Ma’am?,” demande le douanier. “Yes it is, Sir!” Ma guitare et mon tapis de yoga reposent sur la banquette arrière. Le ciel est magnifique, l’air encore un peu frais. C’est la mi-juin et j’irradie de liberté. Je traverse les Appalaches en chantant, le regard balayant le paysage de crans apiques et de hautes cimes. Je roule sans attente, consciente de mon corps, de mes règles imminentes, de ma digestion ralentie et de la pression aux tempes et au ventre. La néoménie scellera cette expérience. Je lunerai en même temps que la nouvelle lune. J’aurai mes règles dimanche.

    Je prends place dans le cercle parmi les autres femmes. Laura, la facilitatrice de mon groupe, m’invite à répondre à mon tour à une première question simple et directe : « Comment je me sens par rapport à mon corps ? » Pendant une seconde, j’anticipe les effets du dévoilement d’une vérité longtemps restée cachée. Mais je suis ici pour jeter une lumière crue sur les sentiments de honte et de culpabilité qui m’habitent afin de les conjurer. Sans plus y penser, je révèle l’objet de ces sentiments à mes consœurs nues assises en cercle, douze autres femmes rencontrées il y a moins de 24 heures : je suis née avec une dysplasie congénitale de la hanche et j’ai été adoptée peu après ma naissance. Pendant dix ans, j’ai fait l’expérience de douleurs chroniques suite à une agression sexuelle, une période pendant laquelle j’ai retrouvé la mémoire d’avoir vécu de l’inceste. Même si mon corps paraît correspondre à certains standards de beauté parce que je suis grande et mince, je me suis longtemps sentie rejetée, brisée, coupable, honteuse, malheureuse bref, mal dans ma peau.

    Les épaules courbées, j’éclate en sanglots. « C’est correct Monica, prends ton temps ». Après quelques secondes, j’ai le souffle coupé. La voix de Laura me ramène à mes sens : « Respire ». J’inspire, expire puis me ressaisis en me répétant ce mantra : mon souffle me soutient. Je reviens à mon corps. Laura intime les femmes de se joindre à moi : « Ensemble ». J’ouvre les yeux et toute la pièce respire avec moi. Nous sommes quatorze à inspirer lentement et profondément et à expirer bruyamment; nous sommes quatorze à nous soutenir. Ma voix intérieure s’adoucit : je suis en sécurité; je suis entourée de consœurs; j’ai le droit de dire ma vérité; d’être entendue, d’être accueillie, d’être écoutée, d’être reconnue et d’être vue. Mes larmes cessent aussi soudainement qu’elles sont venues. Une chaleur m’enveloppe. Dans le regard de l’une à l’autre, je reconnais la solidarité, l’amitié, l’empathie et le courage. Par cette prise de parole, j’affirme mon droit d’exister. Je fais l’expérience directe de la puissance du dévoilement en cercle : une guérison instantanée s’opère.

    Comment je me sens par rapport à l’orgasme, maintenant. « Fantastique! J’adore avoir des orgasmes. » Le contraste est franc. Je réponds sans effort à la deuxième question. À mon souvenir, l’orgasme fait partie de ma vie depuis mes toutes premières années d’adolescence. Je ne me souviens pas vraiment du premier mais je me revois me masturber en regardant le vidéoclip Justify My Love de Madonna tard le soir à Musique Plus au début des années 1990. Je me masturbais dans mon lit, devant le miroir de la salle de bain ou dans le bain tourbillon, l’endroit où j’ai cultivé mes premiers fantasmes. Je n’ai jamais eu honte de me toucher. Pourquoi aurais-je honte ? Mon corps adore ces sensations et j’ai confiance à son intelligence. Lorsque monte l’excitation sexuelle, la vague d’amour et de sensualité qui déferle sur moi m’apporte à la fois une paix intérieure, une joie intense, une énergie renouvelée et une profonde relaxation. La masturbation est la plus fiable des pratiques sexuelles en plus d’être une médecine naturelle formidable que l’on sous-estime.

    Lorsque je prends place auprès de Laura pour le Genital Show and Tell que je renomme affectueusement Expo Génitale, je me sens prête. C’est moins stressant qu’un examen gynécologique. Moins froid aussi. Je m’installe confortablement, les jambes écartées, me huile généreusement les mains et partage ma vulve avec l’assemblée de femmes présentes. « Oh! Wow! Ah! » Laura et moi regardons dans le même miroir posé par terre devant moi. Elle décrit ce qu’elle voit de mes lèvres fermées puis ouvertes : les formes, les couleurs, l’esthétique de l’ensemble de cette partie du corps que nous ne prenons jamais le temps de regarder sinon que pour jeter un œil quand quelque chose semble clocher. Quand apprécions-nous réellement cette partie de notre. Corps pourtant si important ? Puis elle me demande d’identifier et de nommer les différentes parties de ma vulve. Quel moment d’intimité et de connexion ! Nue parmi d’autres femmes nues, nous faisons communauté en réclamant la connaissance de notre corps. Libérée du poids des sentiments qui me tenaient prisonnières, mise à nue, je me sens rapidement à l’aise au point de pousser la blague à quelques reprises et à rire de bon cœur. La honte n’a plus sa place dans ma vie. Ma vulve fait partie intégrante de mon corps. Elle m’appartient. Elle est magnifique. J’adore son odeur. Et elle existe pour mon plaisir.  

    Dimanche soir. J’apporte ma guitare avec moi au feu de camp. Un petit groupe enthousiaste se forme rapidement. Nous chantons jusqu’à la nuit tombée. L’air se fait désormais plus frais; nous nous rapprochons du feu. Je fais un pas de recul avant de rejoindre les autres. « Regardez, les filles ! C’est la Nouvelle Lune ! On voit tellement d’étoiles ! » — « Oh ! Wow ! Ah ! » Le spectacle nous accompagne dans cette nuit qui s’étire merveilleusement. Nous savourons ensemble la lente dissipation de l’énergie sexuelle suite à notre séance rituelle de masturbation en groupe plus tôt cette journée-là. Nous sommes plus riches d’amitiés qui se tissent spontanément car nous n’avons rien à cacher. Je regagne mon lit encore exaltée, joyeuse, énergisée et à la fois sereine.

    Le ciel brille en ce lundi matin de départ. Les tensions aux temples et au ventre ont disparu. Le début de mes règles accompagnent doucement mon levé. Cette fin de semaine, une transformation profonde s’est opérée dans l’intimité du partage de groupe. J’ai fait l’expérience du potentiel de guérison que recèle la libération de l’énergie sexuelle entre femmes. Nous partageons toutes le désir d’explorer notre plaisir en nous (re)connectant à notre corps et à notre sexualité. Malgré la singularité de nos histoires personnelles, nous voulons toutes renverser l’héritage de culpabilité et de honte que nous tenons de nos cultures sexuellement répressives pour les femmes et des traumas intergénérationnels que nous portons. Nous avons le pouvoir de changer cette histoire.

    Après le déjeuner et les au revoir chaleureux, je prends place au volant de ma voiture, ma guitare et mon tapis de yoga déposés sur le siège arrière. Or, cette fois, je fais le chemin derrière Susan, une amie rencontrée à la retraite. Nous roulons parmi l’enfilade de villages menant à l’autoroute 87 nord. Nous roulons jusqu’à l’annonce de sa sortie lorsque, les fenêtres grandes ouvertes, nous nous envoyons la main sachant que nous nous reverrons.