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Le besoin orgasmique

    Juin 2024 —

    En 1972, l’artiste et sexologue états-unienne Betty Dodson auto-publie un pamphlet de dix-huit pages intitulé Liberating Masturbation : A Meditation on Self-Love[1]. Je commente ici un passage de ce classique de la littérature féministe sous-terraine sexuellement positive.

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    « Il y a très peu de femmes en réalité qui, lors d’une relation sexuelle, ont un orgasme sans stimulation additionnelle. Pour être émancipée, une femme doit être libre de choisir et d’énoncer, à tour de rôle, les activités sexuelles qu’elle préfère sans être jugée. Elle peut aussi bien préférer le sexe oral, la stimulation manuelle ou la masturbation. En ce sens, il nous faut rejeter catégoriquement l’idée courante que les femmes n’ont pas nécessairement besoin d’avoir un orgasme. » (p. 16 [ma traduction])[2]

    Pour Betty, chaque femme a un potentiel orgasmique voire, pluri-orgasmique. Une femme qui n’a jamais eu d’orgasme n’est ni défectueuse, ni incapable, ni frigide. Elle est seulement pré-orgasmique. Plusieurs causes peuvent être invoquées pour expliquer l’absence d’appétence sexuelle et d’orgasme : le manque d’autostimulation en raison de la répression de la masturbation – particulièrement en bas âge –, un traumatisme physique et/ou sexuel, des sentiments de honte et de culpabilité face à son corps et à ses organes génitaux, de l’anxiété liée au plaisir, la méconnaissance du modèle de réponse sexuelle féminin, les préjugés et stigma sociaux associés aux femmes sexuellement actives, la désinformation, l’absence de ritualité et de transmission. Bien qu’il soit vécu le plus souvent individuellement, le blocage de l’orgasme a une origine sociale.

    Dans tous les cas, il n’est jamais trop tard pour refaire les connexions neurobiologiques entre le fait de toucher son clitoris et les sensations et les sentiments agréables de calme, de détente, de confiance, de sécurité, de bonne humeur et d’amour de soi ainsi créées. L’orgasme libère des hormones liés au plaisir, à la satisfaction, à l’harmonie et est un antidouleur naturel. Orgasmiques, nous sommes plus heureuses, centrées, créatives, énergiques, joyeuses, autonomes, affirmées et sûres d’elles-mêmes.

    L’orgasme indépendant est la clé des rapports égalitaires, selon Betty. Lorsqu’une femme sait se donner du plaisir en se masturbant jusqu’à l’orgasme, elle peut intégrer cette aptitude lors d’une relation sexuelle. Elle ne dépend pas de partenaires pour lui donner un orgasme. Au contraire, elle participe activement à son plaisir. Elle prend son plaisir en main. Comme le clitoris est l’organe sexuel féminin principal avec ses 10 000 terminaisons nerveuses – et non le vagin, un canal beaucoup moins sensible –, sa stimulation doit être au cœur de toutes activités sexuelles partagées. Or, comme cet organe central se trouve en majeur partie à l’intérieur du corps, les femmes doivent apprendre à reconnaître leur érection en étant plus à l’écoute de leur sensations de manière générale et en se connectant visuellement avec leur vulve dont le clitoris fait partie. Imaginerait-on un homme se passer de son organe sexuel principal lors d’une relation sexuelle ?


    [1] [Libérer la masturbation : méditation sur l’amour de soi]. Le livret n’a jamais été traduit.

    [2] “The truth is that very few women ever consistently make orgasm in intercourse without some kind of additional stimulation. To be liberated, a woman must be free to choose and state her preference in sexual activity without prejudice or judgment when this is her turn – and her preference may often be oral sex, manual stimulation, or masturbation. Also in this connection, we must deny just as emphatically the common idea that women do not necessarily have to have orgasm.” (Betty Dodson, Liberating Masturbation, auto-publication, 1972, p. 16)