Juillet 2024 –
« N’abandonnez pas votre vulve. Servez-vous en ! »
— Betty Dodson
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Pour moi, la masturbation est une pratique de respiration profonde et de mouvements en pleine conscience où l’attention est portée vers le plaisir, les sensations agréables, la volupté, la création d’énergie sexuelle, l’activation de l’imagination, la connexion, l’ouverture à soi et aux autres. Ses effets thérapeutiques et transformateurs immenses sont invisibilisés par le manque d’éducation à la sexualité, d’espace et de temps. Discutons-en.
Exit la branlette de cinq minutes en cachette et culpabilité à la clé. L’activité dont je parle nécessite une préparation similaire à une séance de yoga. C’est un travail corporel engageant (holistique) dont l’intensité peut varier à loisir. Ma bouteille d’eau en main, une bonne huile bio pour lubrifiant, une serviette, des mouchoirs, un miroir, peut-être des accessoires et des sex toys; la plupart du temps, mes mains me satisfont amplement. Bien qu’il existe de l’excellente porno féministe[1], je préfère généralement activer mon imagination et me tenir loin des écrans. J’en ai pour une demi-heure au moins avant d’être complètement excitée, c’est-à-dire d’amener tout mon corps vers le sommet orgasmique, de sentir mon cœur s’accélérer, mes pores de peau exsuder, ma tête en extase, mon être vibrer, mon plancher pelvien pulser. À partir de là, je peux décider d’orgasmer et d’arrêter, d’orgasmer et de poursuivre pour un deuxième – pensez au second souffle – de continuer à edger pour avoir un orgasme plus intense, etc. Un orgasme est un orgasme est un orgasme. Du fait de sa structure interne, le clitoris, véritable iceberg du plaisir féminin, a une période réfractaire très longue ce qui me permet de prendre une pause sans perdre mon érection. Le clitoris est un organe érectile puissant. Viva la vulva !
Adolescente, j’ai connu des épisodes de migraine très drainants au quotidien. J’ai pris des cachets de triptans, une classe de casses migraines. La médication me permettait tout au plus de demeurer fonctionnelle les jours où mon corps me criait à tue-tête que rien n’allait. J’étais bien loin d’être plus détendue, heureuse et bien dans ma peau. Les migraines et autres céphalées se sont résorbées graduellement par l’adoption d’une prophylaxie, une série de changements opérés au quotidien : la pratique régulière de la masturbation et de techniques de respiration, le yoga, l’arrêt définitif de la cigarette, un changement d’alimentation et, plus tard, le sevrage d’alcool. Changer mes habitudes de vie, prendre le temps de localiser et de cartographier la douleur dans mon corps sans tenter de l’anesthésier, étudier mon discours intérieur (la proverbiale cassette), en défaire les boucles de négativité et rebâtir ma confiance en moi auront été un travail de longue haleine en même temps qu’un courageux chemin de connaissance de soi et de guérison. Devant le spectre de la douleur, je me suis demandée « qu’est-ce que je peux faire ? » plutôt que de verser dans le « pourquoi moi ? »[2].
Aujourd’hui, je ne prends aucun médicament. Mon antidouleur, mon calmant et mon stimulant préféré demeure la masturbation que je pratique idéalement quelques fois par semaine. La masturbation m’aide à gérer douleurs et émotions au quotidien. Une séance avec moi-même où j’engage tout mon corps, ma respiration, ma concentration jusqu’à atteindre une forme de méditation active m’apporte personnellement plus de satisfaction qu’une séance au gym. Elle complète ma pratique assidue du yoga en libérant non seulement mon stress et ma colère mais aussi ma joie, ma bienveillance, mon attention, ma compassion. Elle stimule ma bonne humeur. Lorsque je suis sur le point d’avoir mes règles, elle calme mes crampes menstruelles, mes tensions au niveau du bas ventre et des tempes et active ma digestion. Elle me permet de vivre mon cycle de manière harmonieuse et consciente. J’aime par ailleurs prendre le temps de ritualiser certaines séances en concordance avec le cycle lunaire.
Lorsqu’on choisit consciemment de faire de la masturbation une activité comme une autre, elle peut devenir une forme de méditation active, d’exercice en pleine conscience, de thérapie. La masturbation est une manière de prendre sa santé en main, de se responsabiliser plutôt que de se culpabiliser ou de se victimiser, d’apaiser les douleurs, de se libérer du stress, de gérer son énergie. Se masturber est une activité sexuelle fondamentale car elle permet de connaître son corps, ses réactions, ses préférences, ses capacités. Savoir comment se donner du plaisir fait partie intégrante de la santé globale des femmes.
* L’image de présentation est tirée du l’ouvrage de Betty Dodson, Sex for One, Three Rivers Press, New York, 1996, pp. 64-65. Elle en est la dessinatrice.
[1] Ariane Dupuis, « Pornographie féministe : le plaisir féminin en vedette », Urbania, https://beta.urbania.ca/article/pornographie-feministe-le-plaisir-feminin-en-vedette, 7 décembre 2022. Une des plus connues est sans doute la pornographie féministe d’Erika Lust : https://xconfessions.com/.
[2] Fleet Maull, Radical Responsability, Sounds True Publishing, Louiseville (Colorado, ÉU), 2019, p. 171.